Qui est Ouarda Ech-Chykry, 35 ans, passée d'alternante à DG France de Kiabi ?


Qui est Ouarda Ech-Chykry, 35 ans, passée d'alternante à DG France de Kiabi ?
  • 07 Novembre 2023

Voilà un an que la trentenaire est le visage de l'enseigne française de « la mode à petits prix ». Issue d'un milieu modeste, ayant intégré Kiabi en tant qu'alternante treize ans auparavant, Ouarda Ech-Chykry a franchi tous les obstacles jusqu'à en devenir la directrice générale.

Un simple jean et des Vans. Au-dessus de ses baskets montantes, des chaussettes streetwear griffées Kiabi. Où qu'elle soit, Ouarda Ech-Chykry est plutôt du genre à imposer son style. « J'ai 35 ans, je suis une femme, j'ai des origines et j'assume ! » Seule sa veste de costard noire - dénichée elle-aussi dans les rayons de son enseigne de vêtements - rappelle son grade.

Depuis un an, la jeune femme est directrice générale de Kiabi France, une propriété de la famille Mulliez. Treize ans auparavant, elle a intégré le groupe en tant qu'alternante dans un magasin de l'agglomération rémoise. Fulgurante ascension presque logique pour cette « jeunette qui avait les crocs », comme elle se décrit volontiers. Le résultat de son « investissement » - évitant soigneusement le mot « sacrifice ». Mais aussi un coup de projecteur difficile à appréhender pour cette discrète fonceuse dont l'éducation se résume plutôt à « trace ta route et ne fais pas trop de bruit ».

Un visage derrière les 380 points de vente

Quand elle est devenue un « role model » pour certaines, la dirigeante issue d'une famille modeste ne s'en est pas rendu compte. Peut-être par naïveté, concède-t-elle aujourd'hui. La vague de messages de félicitations qui a suivi sa nomination en novembre 2022 l'a confrontée à la figure exemplaire de réussite qu'elle représentait. Le plus fréquent : « On va raconter votre histoire à nos petites filles. »

Mais c'est la réaction de son père, fier, qui l'a le plus touchée : « Tu te rends compte, ma fille, moi je suis né dans un village marocain, et toi, tu es à la tête d'une filiale d'une grosse boîte française ! »

Et pas n'importe laquelle. Créé en 1978, Kiabi emploie aujourd'hui 6.000 personnes en France et 10.000 dans le monde. Surtout, affiche une bonne santé économique en ces temps tumultueux dans le monde du textile : alors que  ses concurrents sont en crise, la marque a revendiqué en 2022 un chiffre d'affaires mondial de 2,2 milliards d'euros, en hausse de 10 % sur un an. Côté magasins, on compte 380 points de vente sur tout le territoire français.

« Je ne suis pas un étendard »

Gare à celles et ceux qui voudraient faire de Ouarda Ech-Chykry un étendard. La dirigeante veut « juste » apporter sa pierre à l'édifice féministe ou à celui des transclasses. C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles elle a accepté notre interview - exercice pour lequel elle confie n'être pas tout à fait coutumière.

Bon gré mal gré, elle a dû se résoudre à assumer le côté spectaculaire de son parcours : « Ça n'a pas été simple mais je veux montrer que tout est possible, que les lignes bougent ! » Fille d'un père ouvrier et d'une mère au foyer, sa trajectoire professionnelle fait pâlir nos statistiques nationales. En France, seuls 9,7 % des enfants issus des 20 % des familles aux revenus les plus faibles se retrouvent parmi les 20 % des ménages les plus aisés à l'âge adulte, selon une récenrte étude de l'Institut des politiques publiques.

A 20 ans, l'alternante alors scolarisée à Neoma Business School gère déjà deux vendeuses du rayon « accessoires et underwear » au Kiabi de Cormontreuil, à côté de Reims. L'année d'après, elle passe au rayon « enfant et bébé » du magasin de Châlons-en-Champagne, manageant quatre personnes et un chiffre d'affaires d'un million d'euros.

A 22 ans, elle déménage à Villepinte, au nord-est de Paris, pour devenir manager et formatrice d'une équipe de vingt personnes. « J'avais conscience que de ne pas être mobile aurait pu réduire mes chances au sein du groupe. Ce n'est pas très coûteux à cet âge-là, on a moins d'attaches. » Et moins d'inhibitions. Quand il faut remplacer sa cheffe de magasin, c'est tout naturellement qu'elle postule et elle est finalement nommée en intérim. Ces six mois lui permettent de « faire ses premières armes » en tant que gérante et elle y prend goût. Un vrai « coup d'accélérateur » pour sa carrière. Preuve en est, à 25 ans, elle prend pleinement la tête du magasin de Soissons.

A chaque échelon, une nouvelle région

Ensuite elle grimpe les échelons, de région en région. A 30 ans, Ouarda Ech-Chykry prend la direction des Kiabi d'Alsace. Un an plus tard, celle de la zone est de la France. « Si on obtient de bons résultats, ils parlent pour nous », justifie-t-elle, avec un pragmatisme de cheffe.

Une ambition assumée, et même encouragée par le directeur général d'alors, Florian Dinel. Ce dernier vient justement de libérer le poste de directeur de cette zone. Quand elle apprend sa nomination, elle l'appelle et lui demande : « Bon, tu t'en vas, est-ce que tu penses que c'est bien de postuler à ta place de directeur de zone ? Au moins pour voir le process… »

« Non seulement tu peux mais tu dois », lui répond son prédécesseur. Trois ans et demi plus tard, quand il quitte son poste de DG pour lancer sa boîte, c'est lui qui décroche son téléphone et lui propose le job. Premier réflexe : elle questionne son choix, en proie au syndrome de l'imposteur. « J'avais cette ambition mais je ne savais pas que ce serait pour 2022. » Puis elle saisit l'opportunité. « On n'est jamais totalement prêt à évoluer. Je continue encore à apprendre. Il y a des compétences qui s'acquièrent en chemin. »

« Quand elle est passée DG, pour toute l'équipe c'était normal », se souvient Ozlem Celik, proche collaboratrice et actuelle directrice de zone chez Kiabi, qui lui reconnaît une « honnêteté intellectuelle » alliée à un « haut niveau d'exigence ».

Du cross fit deux fois par semaine

Aujourd'hui mariée sans enfants, Ouarda Ech-Chykry vit entre sa maison à Reims et le siège dans la périphérie lilloise. Elle est convaincue qu'on ne peut pas être un « bon leader » sans équilibre vie pro vie perso. « Car la vie ce n'est pas que le travail ! » Quand elle ne bosse pas, cette hyperactive parcourt aussi la France mais pour voir ses quatre frères et soeurs - « on s'appelle les cinq doigts de la main », sourit-elle pudiquement.

Ou, deux fois par semaine, elle fait du  crossfit - « un exploit avec un emploi du temps aussi chargé ». Son seul regret est de ne pas avoir pu reprendre l'escrime, ce sport « hyperstructurant » pratiqué pendant dix ans. La dirigeante y a appris la discipline, la répétition pour atteindre le geste parfait, le respect de la hiérarchie et, on y revient, « le goût du challenge ».

Que ce soit à l'escrime ou chez Kiabi, cette fille d'immigrés avoue prendre du plaisir à naviguer hors des sentiers battus, à défier la destinée. « Au fil du temps et des expériences, j'ai pris conscience que mon profil pouvait surprendre. En misant inconsciemment sur un petit ‘effet surprise', j'ai toujours fait de ma différence une force. »

Source : les ECHOS Start


Articles similaires